Notre système d’enseignement a, depuis de nombreuses années, évolué. La majorité des professeurs ne se contente plus d’enseigner de façon magistrale, mais se tourne vers un enseignement s’appuyant sur la réalisation de travaux de groupe / en groupe. Cependant, de nombreuses questions se posent quant à l’organisation de ces travaux.

Garder les mêmes groupes ou en changer?

La première de ces questions concerne la stabilité des groupes constitués. Vaut-il mieux garder les mêmes groupes ou régulièrement en changer ? En fait, cela dépend …

Lorsqu’il mène avec ses élèves un projet à moyen / long terme ou lorsque les relations entre élèves d’un groupe classe s’avèrent compliquées / problématiques, l’enseignant peut avoir intérêt à conserver les mêmes groupes durant un certain laps de temps. Le fait, pour les élèves, de travailler avec les mêmes partenaires présente en effet plusieurs avantages. Ils se connaissent bien et se mettent plus vite au travail car ils n’ont pas besoin de « re-faire connaissance » avec de nouveaux partenaires. La communication est plus facile et le groupe plus à même de développer une certaine harmonie propice à l’efficacité. Ses membres apprennent au fil du temps à utiliser leurs talents respectifs au service d’une répartition du travail plus active. Ainsi, ils s’améliorent et obtiennent en règle générale de meilleurs résultats.

Cependant, il convient également d’habituer nos élèves au changement régulier de partenaires de travail. La constitution régulière de nouveaux groupes doit être une normalité, afin que les élèves puissent apprendre à s’adapter à de nouveaux partenaires. Il s’agit d’une compétence qu’ils devront plus tard maîtriser dans leur vie professionnelle, même s’il leur arrivera certainement de travailler en équipes stables, cette solution étant souvent le gage d’une coopération efficace et de meilleurs résultats.

Comment constituer les groupes?

La deuxième des questions qui se pose concerne la méthode de constitution des groupes. Cette dernière dépend largement des objectifs que se fixe l’enseignant, des activités à réaliser, ainsi que des publics visés. On peut cependant distinguer différentes approches.

Des groupes définis par l’enseignant

L’enseignant constitue lui-même les groupes sans tenir compte de leurs affinités, il répartit les élèves :

– soit par niveau, en fonction des capacités des uns et des autres. Les groupes sont alors homogènes (les plus fragiles travaillent ensemble, de même que les élèves les plus performants), chacun se retrouve avec des consignes à son niveau, mais « c’est la meilleure pédagogie pour les meilleurs élèves et la pédagogie la plus catastrophique pour les élèves les plus fragiles parce que ça les assigne au sentiment d’inefficacité ». Il y a « un risque très fort de découragement par la comparaison sociale » (S. Connac)

– soit en respectant différentes règles de mixage : il mélange par exemple garçons et filles ou comme c’est le cas le plus fréquent, fait en sorte que dans chaque groupe il y ait des forts, des moins forts et des élèves plus fragiles. Les groupes sont alors hétérogènes. Le risque est cependant que les élèves les moins performants demandent très vite à l’élève identifié comme étant le plus fort de faire le travail dévolu au groupe. On va donc avoir des « concepteurs » qui vont s’attacher à la résolution du problème, au mieux des « exécutants » qui vont accompagner le processus, au pire des « chômeurs et gêneurs » véritables passagers clandestins « présents physiquement mais pas cognitivement » (S. Connac).

Des groupes affinitaires

L’enseignant peut donc aussi laisser les élèves libres de constituer les groupes :

– selon leurs centres d’intérêts : les élèves se retrouvent en équipe en choisissant parmi une liste de thèmes proposés, d’outils à utiliser, d’activités à réaliser (CO, CE, …)

– selon leurs affinités et liens d’amitié

– selon leur capacité de performance : deux, trois élèves plus faibles peuvent demander à un ou deux élèves plus fort de les aider

Mais là aussi, cette approche peut s’avérer problématique. « Elle résout le problème pour la majorité des élèves, sauf pour trois ou quatre dont personne ne veut » (S. Connac). Le risque est d’avoir des élèves qui se retrouvent seuls, à qui l’on va demander, dans le pire des cas, de former un groupe – le groupe de la mort – qui bien souvent ne fonctionnera pas. « Laisser les groupes se constituer de manière affinitaire c’est exacerber la vindicte et la discrimination des élèves les plus différents » (S. Connac).

Des groupes aléatoires

L’enseignant peut également choisir un mode de composition aléatoire des groupes, à savoir le tirage au sort. Ce n’est pas une modalité miracle mais certainement celle qui crée le moins de problèmes. La constitution des groupes est le fruit du hasard et personne ne saurait être blâmé.

Il existe de nombreuses façons pour constituer des groupes de manière aléatoire :

  • En faisant compter les élèves jusqu’à 3,4, … selon le nombre de groupes désiré (tous les 1 se mettent ensemble, tous les deux également, et ainsi de suite)
  • En distribuant des cartes à jouer (les valets se mettent ensemble, les dames également, et ainsi de suite)
  • En distribuant des cartes images identiques par séries de 2,3, … selon le nombre de groupes souhaité
  • En organisant un tirage au sort (par exemple via le site https://wheelofnames.com/)
  • En attribuant aux élèves des couleurs, par exemple à l’aide de pastilles autocollantes ou de bonbons de couleur
  • En distribuant des images découpées en puzzle (cartes postales de lieux touristiques, photos d’animaux, d’objets, …), les élèves devant retrouver les personnes disposant des autres pièces permettant de compléter leur puzzle
  • En constituant des groupes ayant des points communs, par exemple tous ceux nés en hiver, au printemps, … tous ceux portant des couleurs chaudes / froides
  • En faisant jouer les élèves, par exemple à pierre, feuille, ciseau si l’on souhaite faire deux groupes (tous les gagnants se mettent ensemble, de même que les perdants)

Dans tous les cas, l’enseignant doit :

– veiller à choisir une méthode en accord avec la nature du travail à réaliser et le type de performance attendu.

prendre le temps d’expliquer aux élèves le choix de la méthode utilisée pour la constitution de groupes, afin qu’elle soit plus aisément acceptée par les élèves.

Comment s’assurer du bon fonctionnement des groupes?

Une fois les groupes constitués, il est également important que la tâche à réaliser soit claire pour les élèves. L’enseignant doit donc au préalable avoir préparé le travail à réaliser, cela passe par :

  • la définition des objectifs : ils peuvent être différenciés selon le profil des groupe, mais il faut veiller à ce que tous les groupes puissent atteindre un niveau minimal de performance (F différenciation niveau seuil / niveau cible)
  • la rédaction de la consigne : elle pourra être affichée au tableau ou mise à disposition des élèves sur feuille polycopiée
  • la définition des différentes étapes par lesquelles les élèves devront passer
  • la préparation des ressources nécessaires à l’activité : cela comprend aussi bien les supports (images, textes, fichiers sons, vidéos, …) que les moyens techniques indispensables à la réalisation du travail (affiches, feutres, … outils numériques)
  • la prévision d’aides et de coups de pouce : il peut s’agir de ressources complémentaires ou de modes d’organisation sociale du travail de classe (des élèves en réussite peuvent par exemple jouer un rôle tuteur et soutenir les élèves plus en difficultés).

Il revient à l’enseignant de voir quel type de travail il souhaite voir mis en œuvre. Il convient de distinguer collaboration et coopération. « Le travail DE groupe se distingue du travail EN groupe. Un travail DE groupe est désigné comme une modalité de travail à plusieurs orientée vers la réalisation d’une tâche ou une production plus que vers les apprentissages individuels par l’intermédiaire d’un conflit socio-cognitif (travail EN groupe) » (S. Connac). En simplifiant, le travail DE groupe relève de la collaboration : chacun se charge d’effectuer une tâche qui participe à un projet commun, chacun apporte sa contribution comme pour l’organisation d’un repas où chacun devrait apporter qui des entrées, qui des boissons, qui des desserts, … au risque de mésententes / malentendus et d’une absence de cohérence du menu.

Pour le travail EN groupe, il ne s’agit pas de rassembler les apports des différents membres du groupe pour obtenir un produit fini. Le travail EN groupe relève en effet de la coopération : chaque membre du groupe agit de concert avec les autres de façon à atteindre tous ensemble les objectifs assignés au groupe. La responsabilité est collective. Dans notre exemple de constitution de menu, cela reviendrait à tous se mettre autour d’une table pour, à partir d’ingrédients communs, cuisiner ensemble. Sylvain Connac définit les quatre caractéristiques de la coopération comme suit :

  • la générosité réciproque : chacun est prêt à s’investir et faire don d’une partie de soi
  • l’interdépendance : on a mutuellement besoin de l’autre pour agir
  • le partage d’une même situation
  • des actions combinées sous forme d’interférences positives, la facilitation de l’activité du partenaire

Par conséquent, chacun apprend de l’autre. La coopération peut avoir deux objectifs :

  • aider les élèves à mieux apprendre (via l’entraide, le tutorat, le travail en groupe, …)
  • aider les élèves à mieux vivre ensemble et améliorer le climat scolaire (via des jeux coopératifs, conseils coopératifs, …)

Le groupe doit réaliser un certain nombre de tâches :

  • comprendre et interpréter la consigne
  • organiser et répartir le travail
  • vérifier la bonne exécution des tâches
  • consolider les apprentissages de chacun

Malheureusement, travailler en groupe ne va pas de soi. Il est donc indispensable que l’enseignant fasse reconnaître le travail en groupe comme un acquis d’apprentissage visé (on apprend mieux ensemble), mais aussi qu’il conçoive un dispositif / propose un cadre, afin d’apprendre aux élèves à travailler en groupe.

Il peut par exemple distribuer à chaque groupe une feuille partagée en 4 cases (exemple en pièce jointe) et leur demander d’inscrire dans chacune des cases l’une des conditions nécessaires à la réussite du travail en groupe (ex : s’écouter les uns les autres, respecter un certain volume sonore, …). Ensuite, lors du travail à proprement parler, il passe et contrôle le respect des critères. A l’aide de tampons encreurs smileys ou de codes couleurs, il indique au groupe si, de son point de vue, les règles sont respectées ou non, puis en discute avec les élèves. L’objectif n’est pas de sanctionner mais bel et bien d’aider les élèves afin qu’ils apprennent à être plus efficaces. Ce type de dispositif s’avère particulièrement pertinent lorsqu’il s’agit d’acquérir des méthodes fonctionnelles pour le travail de / en groupe, ou lorsque les élèves travaillent en groupes « stables ». D’une séance à l’autre, ils peuvent reprendre la fiche, analyser leurs points forts et cibler les critères pour lesquels ils ont encore des progrès à faire.

Il peut également attribuer à chacun de ses membres un rôle spécifique ou les laisser choisir d’endosser un rôle. L’objectif est de mobiliser les élèves et garantir leur investissement tout au long du travail. Les rôles à tenir sont multiples et peuvent être adaptés selon l’âge, le degré de maturité, l’expérience des élèves : maître du temps, secrétaire, porte-parole, capitaine, … (exemple en pièce jointe).

Afin de suivre au mieux les groupes, l’enseignant peut aussi s’appuyer sur l’utilisation de Tétra-Aides. Cet outil, développé par Bruce Demauger-Bost, professeur des écoles de la région lyonnaise, consiste en une structure pyramidale comprenant 4 sommets. Chacun des sommets est associé à une couleur :

  • Vert : tout va bien, le groupe progresse dans son travail
  • Bleu : nous aidons un autre groupe ou sommes déjà aidés par quelqu’un (tutorat entre pairs)
  • Jaune : notre groupe a une question mais elle n’est pas urgente, elle ne nous empêche pas de travailler mais nous aimerions que l’enseignant vienne nous voir quand il sera disponible
  • Rouge : à l’aide! Nous sommes bloqués et n’avançons pas dans notre travail, nous avons un besoin urgent du professeur

Son utilisation permet aux élèves de gagner en autonomie car ils doivent se demander s’ils ont réellement besoin d’aide de façon urgente ou s’ils peuvent continuer de travailler en attendant que de l’aide leur soit apportée. Il facilite également le travail de l’enseignant, ce dernier peut en effet plus aisément visualiser les groupes rencontrant le plus de difficultés. Cela ne l’empêche cependant pas de faire un point ponctuellement afin de vérifier l’avancée des travaux.

Exemple de Tetra-aide

On le voit, il n’est pas forcément aisé de mettre en place un travail de / en groupe, tant les paramètres à prendre en compte sont nombreux. Cependant, je ne peux que recommander cette approche didactique, au regard de l’engagement qu’elle peut favoriser et compte tenu des compétences que les élèves pourront acquérir en la mettant en œuvre. Le jeu en vaut largement la chandelle et l’essayer c’est l’adopter.


Bibliographie

Ressources membres (Article, placemat travail de groupe, cartes rôles)

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